La grande avalanche du Glärnis

Le jour de la Saint Fridolin, le 6 mars de l’année 1898, une avalanche puissante se déclencha dans la matinée autour de 11 heures 20, au plus haut du sommet du Vorderglärnisch, sur sa face Nord-Est, celle tournée vers la ville de Glarus. C’était un jour de printemps doux et baigné par le soleil. Le pied du versant était libre de neige ; dans les forêts, qui entourent le pied du Glärnisch, la neige était tombée des arbres ; en revanche, sur les parties hautes des versants, il y avait encore une assez forte couche de neige de l’hiver, recouverte par une abondante quantité de neige fraîche. Dès le début, l’avalanche montra, dans sa mise en mouvement, une largeur inhabituelle, c’est-à-dire qu’elle ne se déclencha pas à partir d’un point, mais sur une large ligne horizontale, avant que de se précipiter dans une paroi presque verticale, située à peu de distance sous le sommet, paroi issue d’un éboulement datant du 3 juillet 1594 et connue sous le nom de Bruch.

Puis s’orientant toujours plus vers le Nord, elle suivit le chemin habituel des grosses avalanches, cheminement appelé Wustruns et qui, vu de Glarus, descend derrière l’avancée rocheuse du Stöckli, avant d’atteindre le fond de la vallée en passant sur les terrains en prés, inclinés, du Wyden, puis sur le site splendide de la source du Sackberg. Comme un puissant nuage, blanc comme neige, elle mugissait, rapide comme une flèche, dans un grondement tonitruant, tel celui du tonnerre, toujours plus bas et plus près, lançant des volutes de neige légère, à l’Est par dessus le Stöckli et à l’ouest par dessus le Hochwand. La vallée atteinte, elle jaillit, à l’horizontale, telle la fumée de vingt canons qui auraient tirés en même temps, passant entre les forêts du Bitziberg et du Sackberg, puis au-dessus des prairies de Wyden, d’Untersack et d’Allmeind (Atlas Siegfried, feuille 263), au-dessus du village de Riedern sur la gorge de la Löntsch, enveloppant l’auberge bien connue “Au Staldengarten” située sur la route de la Klöntal, venant se briser sur les puissantes falaises du Büttenenwand, au pied de l’alpage d’Auern et du Wiggis, rebondissant sur l’obstacle, pour revenir survoler, plus haut, dans la direction inverse, une fois encore les gorges de la Löntsch et du Büttener — un surprenant changement de direction –, ainsi que le nuage compact de neige qui se déplaçait encore, monstrueusement vite, au-dessus de la rivière, du Sud vers le Nord, s’écoulant donc du Nord vers le Sud, occupant un espace énorme, et se dispersant en une multitude de volutes de neige plus légère. Au final, toute cette masse ramenée vers le Sud se déposa sur les forêts et les prairies du Sackberg, au Bäschirüti, au Vordersackberg et au Geissweite.


Dessin de l’époque montrant la partie en aérosol.

L’avalanche, tout au long de son parcours, produisit un spectacle vraiment grandiose. Lorsque elle se déclencha, il sembla que la moitié de la montagne, se résolvant en neige, s’effondrait. A mi-pente, le flux principal de la masse de neige qui tombait, s’écoulait comme une monstrueuse chute d’eau ; de gauche et de droite, comme si ils voulaient se séparer du flux principal et former des écoulements indépendants, tourbillonnaient de plus petits nuages fait d’une poussière de neige éblouissante, avant que de se fondre de nouveau dans la masse de l’écoulement principal.

Dans les nuages de poussières de neige rejetées le plus à l’Est, le soleil brillait et faisait apparaître, au cœur de la masse agitée de la neige, des anneaux plus clairs, tournoyant et se transformant de façon continue. Le sol tremblait comme lors d’un tremblement de terre, et le fracas, doublé d’un bourdonnement, produit par le choc de la masse de neige contre les rochers était assourdissant.

Quarante secondes peut-être après que la masse principale de l’écoulement eut atteint le pied du versant, alors que de plus petites masses de neige continuaient à tomber et que le flux principal était propulsé au-dessus de la zone de prairie, le bruit fait par l’écoulement prit la sonorité d’un roulement de tonnerre lointain ; enfin, graduellement, le bruit devint de plus en plus étouffé, jusqu’au retour du calme.

A l’instant où l’avalanche se déclencha, dans le cimetière situé à l’Ouest de Glarus, à proximité du lieu d’où a été réalisé le dessin ci-après, un enterrement avait lieu. L’assemblée, quoique habituée aux avalanches, ne s’effraya pas qu’un peu ; beaucoup parmi les femmes présentes se mirent à crier, d’autres s’enfuirent vers la ville. De même chez les hommes, je vis bon nombre d’entre blêmir d’effroi particulièrement, alors que l’avalanche avait atteint le fond de la vallée, lorsque la partie Est de son écoulement enveloppa les bâtiments des blanchisseries, mais aussi quand disparurent derrière les nuages de neige non seulement les forêts visibles depuis le cimetière mais tout le Sackberg ainsi que les imposants massifs rocheux du Wiggis et du Gumenstock, de la Scheye et du Deyenstock de l’Auernalp. Même le sommet du Deyenstock, qui figure sur le dessin, fut masqué pendant un temps.


Coupe de l’avalanche de Glarus.

La cassure dans le manteau neigeux était située à 2330 mètres d’altitude, le point le plus bas atteint par l’avalanche, à la Löntsch, se trouvait environ à 580 mètres. La dénivelée complète parcourue par l’avalanche ne faisait pas moins de 1750 mètres. Du sommet du Glärnisch jusqu’au Buttenenwande, il faut compter, à vol d’oiseau, 3,6 km, auquel il faut ajouter le chemin en retour, jusqu’au Geissweite, soit 2,4 km soit au total 6 km. En prenant en compte le chemin réellement parcouru, en suivant le relief, cela faisait une distance de 7 km, comme indiqué sur l’esquisse ci-dessous.

La façon dont se passa la fin de l’avalanche fut particulièrement remarquable. Le ciel au-dessus et derrière nous était devenu sombre. Le nuage de neige qui après s’être éclaté sur le Buttenenwand, revenait dans un mouvement en retour, soit de la droite vers la gauche sur le dessin ci-dessus, ce nuage donc s’immobilisa comme frappé par un coup, et seules s’échappaient quelques petites masses de neige, comme des lambeaux, devant le nuage, avant de venir sombrer, en dessous, dans le brouillard du corps de l’avalanche, ou, en clair, ces petites masses de neige semblaient se fondre en un gros nuage avec la masse de poussière de neige qui stagnait encore au dessus de Wyden, d’Untersack et d’Allmeind. Ces lambeaux de neige qui avaient de remarquable leur forme en S, tel que visible sur le dessin ci-après – des lambeaux probablement issus des anneaux cités plus haut, comme ceux que l’on peut voir dans la fumée des canons – ces lambeaux flottèrent encore longtemps, telle des dessins blanchâtres jouant sur un fond gris foncé, restant isolés au dessus de la masse qui graduellement disparaissait de plus en plus, jusqu’à disparaître à leur tour. Cela dura bien 6 à 8 minutes, depuis le déclenchement de l’avalanche jusqu’à ce qu’elle finisse sa course et que le nuage de neige occupe toute la vallée. Sur ce temps, il fallut au plus 1 à 1 minute 15 pour que l’avalanche aille du sommet du Glärnisch jusqu’au Geissweite en passant par le Buttenen, alors qu’il fallut 5 à 7 minutes pour que le nuage de neige perde son agitation et se disperse. En gros, l’avalanche parcourut 6 km en une minute, quatre fois plus vite que les plus rapides des trains express anglais.

Quand tout fut fini, on put voir les prés et les bois depuis le Stöckli à l’aval jusqu’aux blanchisseries, visibles sur le dessin ci-après, ainsi que les hauteurs du Sackberg recouverts de neige fraîche. Mais il ne s’agissait pas d’une simple avalanche de “poussière”, et pour preuve, abstraction faite du grondement puissant qui avait accompagné l’avalanche, la présence au pied du Wustruns, d’une masse de neige lourde et compacte, mêlée de terre, de 4 à 5 mètres de haut et de 8 à 10 mètres de large, et qui avait été poussée jusqu’au contre les étables d’Untersack. Pendant des jours, les écoles de Glarus vinrent sur le site afin de voir cette masse de neige, et les journaux ne manquèrent pas de donner des informations sur l’avalanche. Heureusement elle ne toucha ni les personnes ni le bétail, et compte tenu de l’importance de l’avalanche, les dégâts aux forêts furent relativement minces. C’est la plus grosse avalanche que j’ai vue.

Traduction de l’allemand en français par Alain Delalune.

Référence : tiré de « statistique des avalanches dans les alpes suisses et des travaux de défenses y relatifs, ouvrage élaboré et publié sur ordre du département fédéral de l’intérieurpar le Dr Coaz, inspecteur fédéral en chef des forêts. imprimé à berne en 1910 ». L’événement avait été relaté par le pasteur Buss.